Mariage civil et Restauration

Les aléas et les implications juridiques de l’introduction du mariage civil obligatoire à Genève sous la Restauration (1816 – 1824)

[Ndlr : La loi du 26 décembre 1821 sur le mariage devait succéder à celle du 20 mai 1816, qui consacrait la mixité de la nature juridique du mariage, en instituant la bénédiction nuptiale comme condition de validité du mariage. La loi de 1816 instaurait initialement la nature « sui generis » du mariage, au travers de deux sections spécifiques – « Des publications ou bans de mariage » et « De la bénédiction nuptiale », un système à la fois civil et religieux. Après moult péripéties, cette loi a fini par être abrogée, au travers de l’adoption d’une loi nouvelle, celle du 26 décembre 1821, qui va fonder le mariage sur des bases juridiques nouvelles. Les auteurs de cette législation revue et corrigée considéraient dorénavant que le mariage est un contrat de pur droit civil qui tire sa force de la seule loi civile – la bénédiction nuptiale n’étant qu’un accessoire. Ainsi, si tout ce qui concerne le sacrement du mariage appartient à l’Eglise et est régi par ses lois, tout ce qui tient au mariage appartient à l’Etat et est régi par le droit politique ou civil. La nouvelle loi de 1821 devait être exécutable dans les territoires cédés à Turin. Or, ce texte ne tardera pas à poser bien des difficultés et suscitera les protestations coup sur coup de l’Evêque du diocèse (Mgr. Pierre-Tobie Jenni – voir notamment sa lettre du 18 janvier 1822 ci-dessous), celles du Chargé d’affaires sarde auprès de la Confédération et celles du Directoire fédéral. La loi de 1821 n’eut ainsi qu’une durée assez éphémère, puisque le Conseil d’Etat dut proposer le 1er octobre 1823 le retour à l’obligation de la bénédiction nuptiale pour tout le Canton, que le Conseil représentatif entérina par la loi ultérieure du 24 janvier 1824. Cependant, les artisans de la loi, les jurisconsultes Bellot et Rossi, parviendront à obtenir le maintien de la loi de 1821 pour les deux tiers du Canton et en limitant par une loi spéciale le retour à la bénédiction nuptiale aux seules communes cédées au Traité de Turin. Telle sera l’origine de la loi de 1824 qui, en réalisant pour le Canton de Genève un régime d’union incorporée, va régir durant trente ans le mariage de manière différente pour les habitants des Communes réunies et pour ceux du reste du Canton.].

– Les commentaires ci-dessus sont tirés de l’excellente étude du Prof. Alfred DUFOUR, Faculté de droit de l’Université de Genève, publiée sous le titre « Mariage civil et Restauration », Editions Schulthess, 2003.

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(A lire ci-après, en rapport avec la problématique du mariage civil, un document d’archives Réf. A 16 de la Paroisse catholique de Veyrier. / Texte original retranscrit intégralement et fidèlement pour la Mémoire de Veyrier, par Bernard Berger – Mars 2014)

1822 – Lettre de Mgr. au sujet de la loi sur le mariage

A Monsieur J. Cl. Corminboeuf

Rév. Curé de Veyrier

Par Genève

Monsieur le Curé,

J’ai effectivement réclamé, comme on vous l’a dit, contre la Loi sur le mariage, du 26 décembre, du Gouvernement de Genève, déclarant que je ne puis pas autoriser le clergé à s’y soumettre. Fondé sur cette réclamation, voici la marche que vous suivrez en cas de mariage à célébrer dans votre paroisse. Vous observerez en tout le rit catholique comme de coutume, publiant le mariage, …. Lorsque vous en serez à la bénédiction nuptiale, vous ne demanderez point le certificat de mariage civil ; vous ne le recevrez point, si on vous le présente spontanément, passant outre, envisageant la loi comme non avenue. Si ce procédé provoque quelque plainte de la part d’un magistrat, vous répondrez que vous en agissez ainsi par direction de votre Evêque. Vous êtes tenu, dans l’occurrence, d’enseigner aux époux que la validité du mariage est du domaine de l’Eglise. L’expédient, que vous avez imaginé n’est pas à propos.

Vous ne pouvez faire autre chose, touchant le projet de mariage mixte, que représenter vivement, en bon père, à la partie catholique, les suites déplorables de cet acte schismatique …..…

Il est, au moins, très-à-propos, que la fille de 25 ans, baptisée par le Maire, soit rebaptisée sous condition en suppléant les cérémonies, comme on l’a fait avec les autres, qui étaient dans le même cas.

En vous remerciant de vos vœux, que j’agrée particulièrement, je vous renouvelle mes sentiments d’estime et de dévouement bien sincères.

Monsieur,

Fribourg, le 18me janv. 1822.

Votre affectionné Serviteur,

+ Pierre-Tobie, ev. de Laus. et Genève

Les 3me et 4me volumes de Feller m’ont été fidèlement remis de votre part, comme je vous l’ai signifié en son temps ; j’attendrai le 5me par quelque occasion.

Avez-vous payé la souscription des cinq volumes ? Dans ce cas envoyez-moi votre compte.

P.S. Faîtes connaître à M. votre Archiprêtre la direction relative au mariage, afin que la conduite de MM. les Curés soit uniforme.