Veyrier et les vitraux
Histoire d’une renaissance : Celle de l’art religieux au XXe siècle.
La commune de Veyrier à la particularité d’être considérée comme un des berceaux suisses du renouveau de l’art religieux au XXe siècle en ayant abrité quelques-uns des plus grands artistes et maîtres verriers contemporains, comme Marcel Poncet, Charles et Jacques Wasem, ou encore Régine Heim.
Tout commence avec Marcel Poncet et Charles Wasem qui s’installent à Veyrier dans les années 1920 pour y diriger conjointement l’usine de production de verre industriel, optique et artistique de Bossey (antenne de production de Saint-Gobain qui extraie le Silice des flancs du Salève). L’aventure tourne court mais cela ne décourage pas Charles Wasem qui reste à Veyrier et installe un four de fonte au n°3 du chemin de l’Arvaz où il réalise les vitraux qui orneront le portail de la cathédrale de Lausanne, ceux de l’église Saint-Paul à Grange-Canal et ceux du temple de Carouge.
Il réalise ensuite une partie des vitraux de la collégiale de Neuchâtel, du temple de Saint-Jean et, aidé de son fils Jacques, de ceux du temple des Pâquis. S’en suivent d’autres œuvres comme les mosaïques de l’église de Fully (Valais), de la chapelle de Veyrier et celle de Saint-Joseph aux Eaux-Vives.
Après la Seconde Guerre mondiale, Charles Wasem crée plusieurs vitraux pour la mairie, la salle communale, et la nouvelle école de Veyrier.
Debout: Mme Wasem, Jacques et Charles Wasem. Assis: Marthe et Madeleine Keigle,(soeurs de Mme Wasem)
Les Wasem, une dynastie :
Jacques Wasem, devenu maître-verrier, est étroitement associé à l’œuvre de son père. Avec ce dernier il effectue des essais avec du verre feuilleté, puis avec des plaques de verre moulé. C’est cette deuxième technique, qui allie le béton au verre épais, et qui est plus facile à mettre en œuvre, mais aussi plus intéressante de par les jeux de lumière qu’elle peut produire, qui intéresse les Wasem.
En 1952, Charles et Jacques procèdent à des fontes régulières de plaques de verre moulé et créent le premier vitrail en dalle de verre : La tête du prophète, acquis par le musée de l’Ariana, un vitrail qui aura nécessité 2 fontes, 60 dalles et 650 kg de charbon. Suivent de nombreux vitraux réalisés pour des églises, des écoles, des chapelles, essentiellement à Genève mais aussi à la Chaux-de-Fonds, toujours selon la technique du verre moulé, qui permet de rares jeux de lumière.
En 1961, le chimiste, mosaïste et verrier Charles Wasem s’éclipse définitivement de ce monde pour rejoindre la lumière. Son fils Jacques, et son petit-fils Blaise, perpétuent ce métier accompagnés quelquefois d’autres personnes fascinées par l’alchimie du verre et qui viennent lors des périodes de fonte leur prêter main forte.
Le vitrail de « La Vision », au Temple de Troinex
En 1961, Jacques Wasem réalise dans le Temple de Troinex « La vision », un bel exemple de dalle de verre à trame verticale d’environ 15 m2. Œuvre allusive, elle est porteuse d’un message spirituel que l’on doit découvrir. On repère ainsi l’étoile (le Christ), l’arc-en-ciel, la colombe de l’arche de Noé, la croix, la lumière de l’Esprit saint, et du rouge au bleu les quatre éléments. Ici, les pièces de verre sont en briques régulières confirmant le sérieux du message. Ancien et Nouveau Testament renouent sans cesse des alliances entre Dieu et les hommes.
L’activité du four cesse en mars 1975. Après cette dernière fonte, le four ne sera plus rallumé. Dix ans plus tard, Jacques, un homme aux talents tout aussi nombreux que son père, quitte également ce monde. Mais si leur absence est bien réelle, leur talent nous a laissé de superbes témoignages de ce que deux génies de la lumière sont capables de produire avec du feu, du sable et de la chaux.
Comme l’a écrit Sébastien Meer : « Les Wasem font sortir par la magie des poudres et du feu quelques milliers de couleurs et de matières que l’on retrouve encore aujourd’hui dans leurs nombreuses verrières en dalle ».
Le vitrail monumental de l’Oratoire israélite de Veyrier
Veyrier qui a la chance d’avoir contribué à cette renaissance de l’art religieux au cours du XXe siècle, peut aussi s’enorgueillir de la diversité des œuvres qu’elle a initiées, ou qu’elle abrite encore, puisque la commune dispose d’une des plus grandes réalisations en dalle de verre qui existe au monde : un vitrail monumental qui dévoile un panorama des textes fondateurs de la Torah, œuvre de l’artiste Régine Heim.
C’est dans l’Oratoire funéraire israélite de Veyrier, construit en 1931 par l’architecte Julien Flegenheimer – à qui l’on doit aussi la gare Cornavin et le Palais des Nations à Genève – que fut réalisé cet immense vitrail en 1980.
Régine Heim, artiste suisse d’origine polonaise, s’est tout d’abord fait connaitre par ses nombreuses sculptures en bronze qu’elle a réalisées en Suisse et en Israël. Mais c’est surtout la finesse et la qualité de ses vitraux en dalle de verre qui l’ont fait connaître.
Si ses plus grandes réalisations se trouvent aussi à Lausanne, Zurich et Jérusalem, c’est sans aucun doute à Veyrier que l’on peut admirer le chef d’œuvre de cet artiste, une monumentale paroi de verre de près de 41m2 composée de 45 dalles insérées dans une structure métallique de 9,35 mètres de long sur 4,35 de haut.
Cette véritable fresque aux éclats de verre saillants éclaire et interprète admirablement la lumière de ce lieu de recueillement en offrant une vision contemporaine des textes fondateurs de la Bible hébraïque, avec l’arc-en-ciel, le soleil et la lune, le chaos initial, les flots, la manne céleste, le jaillissement du buisson ardent, le tout béni par un ciel rayonnant et scintillant par la multitude des étoiles représentées par de tout petits éléments de verre.
La citation en guirlande « A toi Seigneur, appartiennent la grandeur, la puissance, la gloire, l’autorité et la majesté… » constitue un contre-point à l’arc-en-ciel- symbole d’alliance et d’union, ce qui donne à l’ensemble une dynamique étonnante.
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© Jean Plançon – La Mémoire de Veyrier, février 2016.
Comprendre la technique de la dalle de verre :
Il s’agit d’une technique moderne initiée notamment par Jean Gaudin à Paris dans les années 1930, parallèlement à l’émergence de la construction en béton dans l’architecture. Les pavés de verres, qui mesurent à l’état brut 20 x 30 cm pour une épaisseur de 2 à 3 cm, sont taillés et sertis dans un réseau de ciment.
• Le dessin et le report sont réalisés de la même manière que pour le vitrail au plomb.
• La taille des grandes lignes est réalisée à la scie à eau électrique. Chaque pièce est taillée plus précisément selon les calibres à l’aide de la marteline, qui vient heurter la dalle de verre posée sur le tranchet (planté dans un billot de bois). A la différence du vitrail au plomb, c’est la matière du verre et la résistance propre à chaque dalle qui déterminent le résultat final.
• Le montage : les pièces sont alors décapées puis positionnées sur un lit de sable. Un coffrage en bois de la taille du futur vitrail entoure le tout. Un mélange de ciment, de sable et de résine est coulé entre les morceaux de verre. La surface visible est bien nettoyée. Un temps de séchage est nécessaire (environ 24h). Le vitrail peut alors être levé.