Il y a 200 ans la commune de Veyrier devenait genevoise et suisse.

1816-2016 – Bicentenaire du rattachement de Veyrier au canton et à la Confédération.

Un dossier présenté par Jean-Denys Duriaux

Le traité de Turin, signé le 16 mars 1816 et appliqué le 24 octobre de la même année, va modifier profondément le destin de notre commune. En effet, Veyrier rejoint le canton de Genève et la Suisse et le moulin de Veyrier, pourtant indispensable aux habitants de Veyrier, reste en Savoie. Les négociations politiques menant à ces traités (Vienne en 1815 et Turin en 1816) entre les différents protagonistes laissent les habitants des Communes réunies indifférents. La disette de 1816, année sans été, suivant l’éruption volcanique du Tambora (10 avril 1815), les nombreux changements de régimes politiques imposés les années précédentes et les incertitudes sur la libre pratique religieuse sont les causes probables de cette indifférence.

Les Communes Réunies
Les Communes réunies représentent les territoires du sud du canton que le roi de Sardaigne Victor-Emmanuel 1er (1759-1824) est d’accord de céder à Genève pour compléter la formation territoriale du nouveau canton. Il s’agit de 24 communes représentant 108,7 km2 et 12’700 habitants dans leur immense majorité catholique. Veyrier fait partie de ces communes.

Le calendrier de 1792 à 1816 et ses conséquences

Les Communes réunies ont vécu la même histoire que celle de Veyrier de 1792 à 1816.

  • En 1792: Veyrier devient français par l’invasion des troupes révolutionnaires. La commune sera rattachée au département du Mont-Blanc. La période est pleine d’incertitude et de contraintes dues à la révolution : interdiction du culte, mobilisation d’hommes du village dans les troupes françaises, impôts supplémentaires, etc…)
  • 15 avril 1798: entrée des Français à Genève (ville) et création, le 25 août 1798, du département du Léman, auquel Veyrier sera rattaché. Genève en est la préfecture.
  • En 1801 le concordat signé entre Napoléon et Pie VII permettra un assouplissement des mesures révolutionnaires et la messe pourra à nouveau être célébrée à Veyrier et dans les autres communes réunies
  • Le 1er juin 1813, Veyrier-Étrembières devient une seule et même commune grâce à l’organisation civile du territoire par Napoléon.
  • Le 30 décembre 1813, les Français fuient devant l’avancée des troupes autrichiennes et quittent définitivement la ville de Genève. C’est la Restauration genevoise qui consacre le retour au régime d’avant le Révolution. A ce moment-là, Veyrier-Etrembières n’est pas concerné par cette Restauration et reste sous domination française.
  • Ce n’est qu’en décembre 1814 que les Français quittent Veyrier-Etrembières et la commune redevient sarde. Monsieur le curé est content puisqu’en terre de Savoie l’on jure fidélité sur la Bible et non sur le code civil comme cela se pratique en France depuis la Révolution.
  • Le 1er mars 1815, Napoléon pourtant en exil forcé sur l’île d’Elbe, réussit à revenir en France et va reconquérir une partie de la France au cours des Cent-Jours.
  • Le temps que la nouvelle arrive à Veyrier, ce n’est que le 18 juin 1815 que Veyrier-Etrembières redevient français.
  • Ce même 18 juin 1815, Napoléon est battu à Waterloo et va abdiquer le 7 juillet 1815. Le temps que cette autre nouvelle arrive à Veyrier, c’est le 26 juin 1815 que la commune de Veyrier-Etrembières redevient sarde
    Enfin le 16 mars 1816, Veyrier devient suisse. Le moulin de Veyrier et la commune d’Etrembières restent sardes.
  • Edmond Ganter (1910-1989) précise dans son livre «L’Eglise catholique de Genève, seize siècles d’histoire »

«Ces braves Savoyards et Gessiens avaient subi tant de régimes, prêté tant de serments, célébré tant de formes diverses de la liberté qu’ils restaient désemparés, cherchant consolation dans la religion et considérant le clergé comme leur protecteur naturel.»

Cette protection de la liberté confessionnelle va être discutée au traité de Vienne en 1815.

Victor-Emmanuel 1er fait préciser dans le préambule de l’article 3 du protocole de Vienne en 1815:

«Sa Majesté ne peut se résoudre à consentir qu’une partie de Son territoire soit réunie à un Etat où la religion dominante est différente, sans procurer aux habitants du pays qu’Elle cède, la certitude qu’ils jouiront du libre exercice de leur religion….»

Et il est précisé dans le §7 de l’article 3 que:

«…les communes catholiques et la paroisse de Genève continuent à faire partie du diocèse qui régira les provinces du Chablais et du Faucigny sauf qu’il en soit réglé autrement par l’autorité du Saint-Siège.»

Or cette clause parmi d’autres, imposée à Genève, ne contribua pas à pacifier les esprits, jetant une suspicion supplémentaire sur le patriotisme des nouveaux citoyens. Ces derniers dépendent politiquement du nouveau canton mais religieusement restent sous le contrôle de leur évêché savoyard.

La Constitution de 1814 et l’article 8

C’est en août 1814 que le syndic Des Arts (1743-1827, chef du gouvernement genevois à la Restauration) fait voter la nouvelle constitution que la Suisse réclamait aux Genevois afin d’accepter la création d’un nouveau canton. Cette constitution rétablit les principes d’avant la Révolution française: le recours au suffrage censitaire en fait partie (article 7). L’article 8 stipule que:

«Tous les membres de la compagnie des Pasteurs, du Consistoire, de l’Académie, soit Université, de la direction de la Bibliothèque, de l’hôpital de Genève, de la Société économique, de la Chambre des Tutelles, les Régens du Collège, les Dizeniers, les Directeurs des Bourses françaises et allemandes, et les Genevois membres du Bureau de Bienfaisance, auront le droit d’élire, qu’ils paient ou non, forcément ou volontairement les contributions mentionnées dans l’article précédent».

Cet article crée donc deux types de citoyen : les « vieux Genevois » qui auront le droit de vote, quels que soient leurs revenus, et les nouveaux arrivants (les habitants des Communes réunies) qui, dans leur grande majorité, en seront privés. Olivier Fatio dans la réédition des caricatures de Töppfer considère qu’il s’agit peut-être là d’une des premières Genevoiseries.

Commandant de Carouge désavoué

Le 24 octobre 1816, la « prise » officielle de ces nouveaux territoires, les Communes réunies, par les autorités fédérales et cantonales aurait dû se passer dans une ambiance de fête. Mais tant les habitants que les représentants des autorités savoyardes n’y ont pas vraiment mis tout leur cœur. Les habitants ont été priés de rester chez eux et le commandant de Carouge a mis de la mauvaise volonté à participer à cette passation de pouvoir. Le Conseil d’Etat s’en est ému et en a fait part au représentant du roi de Sardaigne. S’en est suivi la circulaire ci-dessous, retrouvée dans les archives de la commune de Veyrier.

C i r c u l a i r e Genève, le 21 Novembre 1816

Monsieur le Maire,

Le Conseil d’Etat me charge de vous informer qu’il a reçu du Directoire de la Confédération suisse l’avis officiel que la conduite du Commandant de Carouge, au moment de l’évacuation du territoire cédé au Canton de Genève, a été désavouée par Sa Majesté le Roi de Sardaigne, et que pour en donner une preuve, Sa Majesté a rappelé immédiatement cet officier à Turin.

Le Conseil d’Etat désire que vous donniez connaissance de ce fait à vos administrés.

Recevez Monsieur le Maire, l’assurance de ma parfaite considération.

Falquet, Secrétaire d’Etat

à Monsieur le Maire de la Commune de Veyrier.

Création d’un état-civil

L’application des nouveaux droits genevois aux Communes réunies n’a pas été facile dans tous les domaines, comme par exemple pour l’état civil.

Le Gouvernement de Genève n’ayant pas encore déterminé le mode de constater les naissances, mariages et décès dans le Communes réunies au canton par le Traité de Turin,

Il en est résulté d’un côté que ces actes lorsqu’ils concernent des Catholiques ont été reçus exclusivement jusques à présent par Mrs. Les Curés.

Et de l’autre que les habitants qui ne professent pas la Religion Catholique sont sans moyens de constater les actes de l’Etat-civil.

En attendant qu’il ait été statué sur cette matière d’une manière uniforme et générale, le Conseil d’Etat a arrêté provisoirement les dispositions suivantes.

  1. Dans les communes cédées au Canton par le Traité de Turin les actes de naissance, mariage et décès des habitans non Catholiques Romains seront reçus par les Maires desdites Communes conformément aux lois actuellement en vigueur dans le Canton.
  2. Conformément à l’art. 2 de la loi du 20 mai 1816, les publications de mariage qui doivent être faites par l’officier de l’Etat civil le seront aussi dans l’Eglise de la Communion des époux la plus rapprochée de leur domicile.
  3. Les Pasteurs du culte réformé dans le Canton pour les publications de mariage, et la bénédiction nuptiale concernant les habitans non Catholiques Romains du territoire réuni par le Traité de Turin seront tenus de se conformer aux lois actuellement en vigueur dans le Canton.
  4. Les publications de mariage des habitans non Catholiques Romains de la Commune de Veirrier devront être publiées dans l’Eglise réformée de Carouge.

Le mariage sous la Restauration

Le passage du caractère uniquement religieux au caractère uniquement civil du mariage s’est fait avec l’application et l’abrogation des lois suivantes:

– La loi du 20 mai 1816 consacrait la mixité du caractère juridique du mariage, en instituant la bénédiction nuptiale comme condition de validité du mariage, au travers de deux sections spécifiques, soit a) Des publications ou bans de mariage et b) De la bénédiction nuptiale, un système à la fois civil et religieux. Après moult péripéties, cette loi a fini par être abrogée et remplacée par

– la loi du 26 décembre 1821 qui va fonder le mariage sur des bases juridiques nouvelles. Dorénavant, le mariage est un contrat de pur droit civil qui tire sa force de la seule loi civile – la bénédiction nuptiale n’étant qu’un accessoire.

– La loi du 24 janvier 1824. Cependant, les pères de la loi (Bellot et Rossi) vont réussir à obtenir le maintien de la loi de 1821 pour les deux tiers du Canton et en limitant, par une loi spéciale, le retour à la bénédiction nuptiale aux seules communes cédées au Traité de Turin.

Conclusion

L’entrée de notre commune dans le canton de Genève n’a pas soulevé l’enthousiasme général : le choix de rejoindre un canton à majorité réformée, l’amputation administrative d’une partie de son territoire (Veyrier rejoint le canton sans Etrembières et sans le moulin du village), la disette de 1816 due aux mauvaises conditions climatiques et la lassitude des incessants changements politiques depuis 1792 ont été autant de causes à l’indifférence des Veyrites face à ce nouveau changement. 200 ans plus tard, le bilan du mariage entre les Communes genevoises et le canton est positif. Gageons que, dans cette même dynamique, la construction actuelle du « Grand Genève » soit, elle aussi, couronnée de succès malgré les difficultés et l’indifférence générale.