Histoire de Bois-Salève, chapitre 1:

Les pensionnats pour jeunes filles des Fidèles compagnes de Jésus

C’est dans ce qui reste de l’ancien domaine de Bois-Salève (au Pas-de-l’Echelle), que se dressent encore aujourd’hui deux anciens édifices construits à l’origine par la congrégation des Fidèles compagnes de Jésus juste après leur expulsion du territoire genevois à la fin du XIXe siècle: la Maison de Bois-Salève, immense et magnifique demeure de quatre étages qui accueille aujourd’hui des appartements de haut standing; et la chapelle des enfants de Marie, qui se trouve hélàs en bien mauvais état, mais qui espère néanmoins une future possible réhabilitation. Retour sur le parcours plutôt mouvementé de cette congrégation, qui nous a laissé un patrimoine assez conséquent.

Marie-Madeleine d’Houët. Archives de la Congrégation des Fidèles Compagnes de Jésus (France).

Les Fidèles compagnes de Jésus

Cette congrégation religieuse féminine enseignante fut fondée par Marie-Madeleine d’Houët en 1820 dans la ville d’Amiens, lors de la restauration des Jésuites (l’ordre avait été dissous en 1773 et rétabli en 1814). Le projet de la fondatrice était alors de créer une société non cloîtrée, non monastique, mais disponible aux appels de l’Église pour servir le peuple de Dieu. Dans cette optique, les premières sœurs furent toutes de milieu populaire. Monseigneur de Chabons, Evêque d’Amiens, encouragea cependant Marie Madeleine à disposer d’autres pied-à-terre, notamment en Angleterre et en Suisse, surtout à partir du moment où survinrent des difficultés bloquant la réalisation d’autres maisons en France. Une série d’évènements providentiels aboutirent alors à la première fondation suisse dans la cité de Carouge.

Le pensionnat des Fidèles compagnes de Jésus à Carouge. Lithographie, collection FCJ (Suisse)

 Le pensionnat de Carouge

En 1832, Marie-Madeleine d’Houët fait l’acquisition à Carouge d’une maison située dans un parc tout près de la rue Joseph Girard. Elle agrandit immédiatement les lieux avec une nouvelle bâtisse afin de pouvoir accueillir une école gratuite, une école technique pour filles en apprentissage et enfin un internat capable de recevoir jusqu’à une centaine de jeunes filles catholiques. Destiné à devenir renommé à travers toute l’Europe, l’internat souhaitait avant tout « donner une solide éducation chrétienne en leur donnant l’amour de leur religion et formant leur intelligence par l’étude des sciences utiles ». Les jeunes filles portent alors un uniforme comprenant une robe de laine noire, une robe blanche et une robe rose avec une ceinture blanche ou rose et un chapeau de soie noire doublé et garni de bleu. Si l’on en croit le récit fait par M. Bailly de Lalonde, dans son ouvrage paru en 1842, le pensionnat connut rapidement un grand succès, car trois ans à peine après son ouverture, il comptait déjà 70 pensionnaires.*

* Bailly de Lalonde, Le Léman, ou voyage pittoresque, historique et littéraire à Genève, Tome second, Paris, chez G.A. Dentu, 1842.

La chapelle des enfants de Marie, dans le parc du pensionnat. Collection du Centre d’iconographie genevoise.

La chapelle des enfants de Marie

En janvier 1859, par l’intermédiaire de l’Abbé François Fleury, la mère supérieure Emilie Guers (qui a remplacé Marie-Madeleine d’Houët en 1848) prend contact avec l’architecte Jean-Daniel Blavignac pour la construction dans le parc du pensionnat d’une petite chapelle de style néo-gothique. Le chantier, qui débute le 18 août 1859, dure environ un an et la bénédiction a lieu le 5 juillet 1860. Notez dans la lithographie ci-contre les tenues portées par les jeunes filles pensionnaires. La chapelle du Sacré-Coeur En 1862, la congrégation fait à nouveau appel à Jean-Daniel Blavignac. Il s’agit cette fois-ci de construire une chapelle de plus grande dimension donnant sur la rue Joseph Girard. De style également néo-gothique, elle s’inspire de la petite chapelle dont elle reprend le fronton, la rosace et les contreforts, tout en offrant cependant sur sa façade trois grandes fenêtres à ogives ornées de vitraux. La chapelle du Sacré-Coeur, telle qu’elle se nomme, est inaugurée en 1866. Elle sera démolie en 1969, alors que les édifices du pensionnat seront quant-à-eux sauvegardés.

La chapelle du Sacré-Coeur du pensionnat pour jeunes filles des Fidèles compagnes de Jésus, rue Joseph Girard à Carouge. Lithographie, collection Notrehistoire.ch


Le Château de Viry. Collection de la Bibliothèque municipale de Lyon, cote B06CP74580 000001

L’expulsion du territoire suisse

En octobre 1875, subissant les effets du Kulturkampf (cliquez ici pour voir ce dossier) et des lois anticléricales du gouvernement Carteret, la congrégation des Fidèles compagnes de Jésus fut expulsée de Suisse. Les soeurs et leurs pensionnaires se réfugièrent alors dans le château de Viry où le Comte leur réserva un accueil chaleureux et protecteur durant quelques mois, le temps de finaliser la construction d’un nouveau pensionnat sur la commune d’Étrembières, dans le domaine de Bois-Salève dont elles étaient propriétaires depuis 1847.

La Maison verte de Bois-Salève. Collection de Gérard Lepère – 419.

Le pensionnat de Bois-Salève

En 1847, la congrégation avait acquis auprès du peintre François Diday le domaine de Bois-Salève sur lequel se trouvait la « Maison verte », masure construite sur les vestiges de l’ancienne place forte de Symond. Cette bâtisse, quoique de dimension convenable, n’était cependant pas suffisament grande pour y établir le nouveau pensionnat. Les soeurs décidèrent donc de faire construire un vaste édifice capable d’accueillir jusqu’à 200 jeunes filles. Le financement fut en bonne partie assuré par une généreuse donatrice d’origine russe. Les Fidèles compagnes de Jésus firent appel à John Gottret, architecte veyrite, qui éleva en 1877 un véritable palais de plusieurs étages et flanqué de deux ailes entourant une cour d’honneur. Les cuisines et les caves furent installées au sous-sol, tandis que le rez-de-chaussée était destiné à accueillir le réfectoire, ainsi qu’une chapelle (en attendant que celle des enfants de Marie soit transférée depuis Carouge). Le premier et deuxième étage de l’édifice furent réservés aux chambres et aux dortoirs, et le troisième destiné à abriter les salles de cours et de musique. L’infirmerie quant-à-elle fut établie dans une annexe accolée à l’une des ailes de l’édifice alors que la Maison verte fut transformée pour abriter la buanderie, les salles de couture et le logement du personnel.

Pensionnat de Bois-Salève. Coll. Bibliothèque de Genève
« de 5 »

Le transfert de la chapelle des enfants de Marie

Après leur expulsion de Carouge et la construction du nouveau pensionnat à Bois-Salève, les Fidèles compagnes de Jésus décidèrent de transférer la petite chapelle qui était resté dans l’ancienne cité sarde. Démontée pierre par pierre, elle fut entièrement reconstruite dans le parc de Bois-Salève et une nouvelle bénédiction eut lieu le 2 août 1884. Aujourd’hui, elle se trouve toujours dans le parc. Ayant particulièrement souffert du temps, la commune d’Étrembières qui en est devenue propriétaire opère actuellement des travaux de restauration avec l’espoir d’en faire un espace culturel et de mémoire.

La petite chapelle des enfants de Marie dans le parc de Bois-Salève. Collection Mairie d’Étrembières


Le pensionnat de la Chassotte, à Givisiez. Carte postale

Les fidèles compagnes de Jésus à nouveau expulsées

En juillet 1902, suite à la Loi COMBES, les établissements religieux enseignants furent interdits. L’année suivante, ce fut au tour des congrégations religieuses qui furent obligées de quitter le territoire français. Ces mesures anti cléricales conduisirent à la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État et sonnèrent le glas du pensionnat de Bois-Salève. Chassées de France, les Fidèles Compagnes de Jésus abandonnèrent leur magnifique demeure et retournèrent dans une Suisse devenue à nouveau plus accueillante. Elles se réfugièrent à Givisiez (Fribourg) où elles y établirent un nouveau pensionnat – « La Chassotte » – qui fonctionnera jusqu’à 1987, année où elles déménageront à nouveau, vers la commune de Naters, dans le Valais, où elles se trouvent toujours aujourd’hui , mais pour s’occuper cette fois-ci de personnes âgées.

© Jean Plançon – La Mémoire de Veyrier, novembre 2017.

A voir également:
Bois-Salève, chapitre 2: L’hôpital Néo-zélandais d’Etrembières, Histoire de Bois-Salève entre 1917 et 1919.